
Il est 12h24, je reviens d’une journée de rangement du week-end Placard Backroom, un week-end BDSM sur Grenoble. J’ai participé à des ateliers, j’en ai animé un de tatouage, j’ai participé à la play party. En fait il y a plein de choses qui se bousculent, des choses très politiques, mais il y a quelque chose de très organique que j’ai vécu à ce moment-là.
Il y a eu cette scène, peu importe ce qui s’est passé j’en dirai pas plus, mais j’ai vécu un moment de non-mixité pédé. C’était la première fois que ça m’arrivait. J’étais tellement excité, je sais pas si c’est parce qu’ils étaient tous canons ou parce que je me sentais le bienvenu dans leur érotisme. Je ne m’attendais pas à être aussi bien, et pourtant, au milieu de tous ces corps très différents, des mecs qui avaient des chattes, des mecs qui avaient des bites, des mecs qui avaient des seins, des mecs qui avaient du gras, qui avaient des poils, des mecs avec les cheveux longs, des mecs avec du vernis… Je me sentais sexy, et c’était super intense.
Je me suis senti validé comme pas souvent je me sens validé, dans quelque chose de recherche identitaire, peut être un peu personnel illusoire, futile, pas forcément utile à la lutte des classes, mais qui n’empêche occupe une partie de mes pensées.
Je suis revenu aujourd’hui pour nettoyer, et je me sentais bien. Je me suis fait la réflexion que j’avais toujours les mêmes comportements quand je me sentais bien à un endroit. Je revenais sur mon vélo et j’étais sur un petit nuage, j’avais de la musique dans les oreilles, et là en allant au lieu j’écoutais « Le temps est bon » d’Isabelle Pierre.
Je m’étais habillé avec encore plus de flamboyance que d’habitude. J’ai ressorti ce short taille haute qui s’arrêtait au ras des fesses, qui moulait vraiment, que j’avais acheté un été de canicule. La dernière fois que je l’avais vraiment porté, c’était quand j’étais une fille. Il est resté au fond de mon placard pendant longtemps, et ça fait des mois, depuis que la chaleur est revenue que j’hésitais à le mettre, ce short. Je l’ai porté pour une performance de Drag King mais c’était pas pareil, c’était un spectacle.
Ce moment collectif de pédés ça m’a donné envie de le mettre parce que j’avais envie d’être vu, j’avais envie de montrer que je connaissais ces codes, j’avais envie d’être désirable auprès de ces mecs. Et du coup j’ai mis ma casquette rose à paillettes, j’ai mis une petite chaîne autour de mon cou, un débardeur, des chaussettes hautes, mais surtout ce short, qui moulait bien mon boule et je me sentais super vénèr et super classe. Et en y allant je me sentais en puissance. Pendant toute la journée de rangement, je me sentais beau, et les regards qui se posaient sur moi me trouvaient beau aussi.
C’est pas souvent que je me sens désiré par des mecs. S’il y a des mecs qui me désirent c’est pas de la bonne manière, c’est qu’ils désirent les restes de fille qu’il y a en moi. J’ai bien envie que des mecs me désirent pour une certaine forme de féminité, mais pas parce qu’ils me voient comme une fille, c’est pas le genre de regard que je veux attirer.
Mais dans ce regard-là, il y a eu vraiment ce truc de reconnaissance et de compréhension des codes, et je pense que maintenant que j’ai ces codes-là, ce genre de traductions ça me fait trop bander.
Et il a fallu que je parte, parce que je me sentais fatigué. Il y a Eliott qui m’a demandé si ça allait, de rentrer tout seul, et je lui ai dit que oui, j’avais que quelques centaines de mètres à parcourir pour aller chercher mon vélo. Quand je suis parti de la table, j’ai claqué mes fesses en leur disant au revoir, ça les a fait rigoler. J’étais bien jusqu’à ce que je sente que j’étais plus à leur portée de vue.
Et là je me suis mis à ressentir des sentiments de fille dans la rue. Tourner pour voir si personne ne me suivait, parce que c’était la nuit, parce que j’avais l’apparence d’un mec mais j’avais des seins, une casquette à paillettes et surtout un short qui me moulait le boule comme jamais. J’ai tiré dessus pour essayer de le rendre moins court, et je m’en suis tout de suite voulu de ne pas réussir à tenir, de trouver des stratégies de capitulation, de paix sociale. J’ai marché pour aller jusqu’à mon vélo, et il y a un groupe de mecs qui est passé. Ils m’ont abordé et ils m’ont encore demandé la question fatidique, si j’étais « une fille ou… », mais au lieu de compléter comme d’habitude par «… garçon », ils m’ont demandé si j’étais « une fille ou un pédé ».
J’ai trouvé ça cyniquement original pour une fois. J’avais pas l’énergie de leur répondre, la fatigue m’aurait trahi, mais ça m’a questionné sur la binarité du genre, et sur le fait qu’en étant visiblement pédé, j’étais dans une autre catégorie.
J’ai continué de marcher, en essayant d’adopter cette démarche de mec cis hétéro. J’ai accroché ma casquette à ma banane devant moi, pour essayer de cacher mes seins, de passer un peu plus dans cette rue, dans ce monde d’hommes. Je suis arrivé à mon vélo, et la sensation des clefs et du cadenas m’ont rassuré, parce que même si mes mains tremblaient, j’allais pouvoir me tirer vite.
J’ai mis Mon Dragon à fond dans mes oreilles et j’ai pédalé, j’ai pédalé, j’ai pédalé, jusqu’à ce que mes poumons me brûlent, jusqu’à retrouver les sensations de quand je toppais tous ces mecs, tous ces mecs dans la sueur, dans l’eau, au sol, dans plein de fluides, et c’était moi qui les dominais. Il y avait un autre mec qui co-toppait, mais à ce moment-là j’avais l’impression qu’il n’y avait que moi, et c’était moi qui étais en contrôle, et ça n’avait pas d’importance si à ce moment-là j’avais des seins sur mon torse ou plus ou moins de voix, plus ou moins de tout ce qui fait que je devrais avoir une légitimité à être dans l’espace public.
Sauf qu’en fait, cette légitimité je ne l’aurai jamais.
Je repense à cette chanson d’Anne Sylvestre, qui dit « Il faut que cela s’arrête ». Il faut que cela s’arrête.
Et je me demandais quand est-ce que tout ça allait s’arrêter, quand est-ce que je me sentirais à l’aise de marcher dans la rue, mais je me suis rendu compte que ça ne s’arrêtera jamais. Parce que si j’étais une fille, on me laisserait pas tranquille, si j’étais une gouine butch on me laisserait pas tranquille non plus, et si j’étais un mec, ça aurait été la seule des solutions, mais il aurait pas fallu que je sois pédé.
Il aurait fallu que je range mon petit short qui me moule le cul, que j’en mette un plus long, quelque chose qui surtout couvre cet endroit, qui crie moins « mate-moi le cul », qui invite moins à l’exploration de toutes ces zones qui sont interdites pour les hommes cis-hétéros, qui ne font pas partie de leurs cartes érotiques.

Tous leurs tracés à eux sont situés en dehors de leur corps, dans l’espace public. Ils ont pas besoin de toucher leur corps puisqu’ils ont tout le monde à leur portée.
C’est la première chose que j’ai faite en rentrant dans l’appartement. Je me retournais à chaque fois que je fermais une porte, quand j’étais dans l’ascenseur. J’ai fermé à clef et je me suis changé.
Là maintenant mon short est sous mon lit.
Il faut que cela s’arrête.
Et ça m’énerve encore plus de penser que moi je dois me travestir en homme hétéro, quand je pense à tous mes potes hétéros parler du nouveau look « casu », du fait qu’ils s’habillent pour être « scred », alors que quand ils marchent dans la rue, rien ne les menace.
C’est des codes de camp hétérosexuel médiocre, il y a aucune flamboyance, aucune saveur, c’est juste qu’ils s’habillent en noir, avec des coupes droites et des vêtements de marque, ils reproduisent bien toutes les normes que l’on impose aux hommes. Et jamais ils auraient l’idée de laisser paraître un semblant de féminité, aucune part de tendresse, aucune part de sensibilité. Moi je m’habille comme les autres, et dans les vestiaires on se changera sans jamais se regarder, sans jamais se toucher. On essayera de se retenir de pas sentir la sueur des autres, on essayera de pas mater des culs, on remettra nos casquettes Stone Island bien enfoncées sur nos têtes et on se toisera. Mais on ne se regardera pas avec désir. Je trouve leur mode ridicule. Parce qu’on aurait tout à gagner, à devenir des traîtres de nos classes. Mais pour ça il faudrait qu’ils arrêtent les discours creux de faux alliés qu’ils déroulent pour mieux aller s’insulter de pédés au stade, pour avoir leur petit vernis LGBT, pour être vu comme « safe » et pas problématique, pour qu’ils aient le droit de se faire un petit drapeau arc-en-ciel sur les joues à la Marche des Fiertés, même s’il n’y a rien de fier à marcher là-bas, en tout cas pas en ce moment.
Mon chien a vu que j’étais inquiet, je suis sorti le promener. Et bizarrement tout allait mieux. Parce que j’étais dans les codes, parce que c’est bon, ça allait, je pouvais passer pour un mec qui allait rentrer cogner sa femme, un mec qui allait prendre de l’espace, parler à la place de tout le monde, qui allait expliquer la vie en disant que lui il avait tout vu tout entendu parce que c’est un vrai mec, élevé à la dure et que maintenant on ne peut plus rien dire. Maintenant je pouvais passer pour un mec qui en a rien à foutre, un mec qui a accès aux corps, en ayant droit de regard sur qui d’autre a accès à quoi. Un mec qui a le pouvoir. Comment mes potes hétéros peuvent-ils être d’accord pour représenter tout ça ? Comment peuvent-ils se sentir à l’aise dans leurs costumes de dominations ? Pourquoi est-ce qu’ils ne ressentent pas le besoin vital de se détacher de ces postures ? Pourquoi est-ce qu’ils se laissent être complices ?
J’aimerais que tous les mecs hétéros aillent se faire enculer, au sens propre du terme.
J’aimerais qu’ils comprennent le plaisir que peut leur apporter leur cul, qu’ils sentent leur anus rempli, qu’ils pénètrent plus d’anus avec autre chose que leur pénis, mais qu’ils se fassent pénétrer eux-mêmes avant.
J’aimerais qu’ils comprennent quel plaisir j’ai pris à porter ce short aujourd’hui, quel plaisir j’ai eu à montrer mon cul, comme pour dire : regardez-le. C’est ici. C’est mon code social. J’ai peut-être pas de bite mais j’en ai pas besoin, parce que j’ai un cul d’enfer. J’ai envie que vous le regardiez. J’ai envie que votre regard de pédé se pose sur mon cul, parce que vous m’excitez rien qu’avec vos yeux.
J’aimerais que tous les mecs hétéros aillent se faire enculer, pour qu’ils comprennent que cette fierté-là que j’ai ressenti elle se transforme en peur en deux secondes. À chaque fois qu’ils font des blagues et se justifient, à chaque fois qu’ils occupent tout l’espace, à chaque fois qu’ils mettent une veste The North Face au lieu de mettre du vernis ou de chercher à changer les codes hétérosexistes, moi j’ai une part de liberté qui s’en va.
Et ma visibilité n’a pas le même prix que la leur, leur invisibilité c’est un choix personnel, c’est un choix esthétique, c’est une mode. Mon invisibilité, c’est la censure, et je refuse d’être invisible, j’ai été invisible trop longtemps.
J’aimerais qu’ils aillent se faire enculer, parce que je leur en veux, de me faire ressentir de la honte, de m’amputer d’une partie de ma flamboyance, et parce que je les laisserai plus faire.
Surtout qu’ils (nous) ont une glande qui leur apporterait un plaisir sexuel insoupçonné !!! Quand profiteront ils enfin du plaisir que leur à donner la nature ! Je rappelle à tous que la prostate est un organe masculin et non féminin !
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