Je suis un mec trans de 35 ans, mon amoureux est aussi un mec trans, on s’est mutuellement repérés à l’Existrans 2008 et on est pédés ensemble depuis cette époque. Lui il était déjà pédé, moi j’ai pris le train en marche. Ensemble on est les papas de deux enfants de 3 et 5 ans, moi c’est Papa, lui c’est Poppy, il a fabriqué les enfants avec des paillettes en Belgique.

Je suis assez détaché de tout ce qui s’est passé dans mon enfance parce que j’ai très vite appris à dissocier. Ma formule
magique : tu allumes la radio dans ta tête, une chanson arrive et elle passe en boucle, tu entends plus que ça, t’es plus
là. Bon c’est chiant parce que ça a salopé pleins de chansons que j’aimais bien et que je peux plus écouter maintenant. Et aussi j’ai déjà dû tout raconter à pleins d’assistants sociaux, des psys, des keufs, des juges aux affaires familiales alors c’est comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre qu’à moi.

On était une fratrie de trois, je suis l’aîné, j’ai deux petits frères qui ont 3 et 5 ans de moins que moi. J’ai pas été enfant très
longtemps, c’est à dire que j’ai rapidement dû me démerder tout seul et être présent pour mes frères parce que nos parents étaient vraiment déconnants. Je crois que j’ai été un enfant jusqu’à l’âge de 8/9 ans et ensuite j’ai subi mon statut d’enfant en attendant d’avoir 18 ans.

Ta fratrie, c’est les témoins de ton enfance. C’est des trucs qu’on s’est dit plusieurs fois avec mes frères au fur et à mesure
des années : « Personne ne sait ce qui nous est arrivé à part nous trois, on pourra jamais raconter tout ça à d’autres gens ». Aujourd’hui encore, il y a des trucs que j’ai jamais racontés et je crois que mes frères n’en parlent pas non plus.

Notre père s’est acharné à casser notre relation de fratrie, pour imposer sa place de Pater Familias. Et notre mère a surtout essayé de maintenir une relation avec chacun d’entre nous.

C’est très douloureux pour moi de ne plus avoir de fratrie.

En bref, notre père est alcoolique et notre mère est bipolaire, et fait depuis un peu plus de 20 ans très régulièrement de
longs séjours à l’HP. Ils nous ont kidnappés plusieurs fois, nous foutaient salement sur la gueule, notre mère avait plus de retenue même si c’était à coup de ceinture, notre père lui nous finissait à coup de pieds. Ils se sont fait 10 ans de procès pour avoir notre garde alors qu’aucun des deux ne tenait la route.

dessins de plein de fleurs psychédéliques avec des visage portant différentes expressions (tristes, joyeuses, souffrantes…)
Je suis assez contre les Trigger Warning, désolé que ça te mette mal à l’aise mais c’est mon enfance ça m’est vraiment arrivé, si t’as déjà eu trop de détails passe aux petites étoiles (★★★★★★★), sinon, déroule (en cliquant ici).

J’ai pas des tonnes de souvenirs de la famille nucléaire à cinq. Parce que quand j’étais petit ça marchait pas comme ça. Notre mère vient d’une famille nombreuse, c’est des juifs tunisiens. Être en famille même au quotidien c’était être entre sept et quinze. La famille de notre père c’est des prolos franco-français.

C’était naviguer entre notre petit appart’, la grande maison des parents de notre mère et la petite maison des parents de notre père.

C’était le grand écart entre la cuisine à l’huile d’olive et la cuisine au beurre.

C’était passer d’une maison où on te disait : « Allume la lumière, fais attention à tes yeux » à une autre où on éteignait la lumière quand tu lisais et que du coup ton coin lecture c’était un banc inconfortable près de la fenêtre.

C’était passer d’une grande maison avec pleins de tontons pour nous faire des blagues où les enfants étaient rois à une petite maison sombre, au climat incestueux.

C’était passer d’une maison où on pouvait pas prendre de douches parce que la douche était encombrée de pleins de merdier et où on devait faire la toilette du chat avec un gant devant le lavabo en étant trop supervisés à une maison où même encore maintenant à 35 ans on me demande si je me suis bien lavé les mains en arrivant (ma grand-mère était très en avance sur les gestes barrières).

C’était passer d’une maison où on te touchait trop à une maison où on se touchait pas assez.

La vie à cinq, le quotidien c’était un mélange de ces deux ambiances.

J’avais 5 ans quand on a déménagé dans un petit village vers Montpellier.

Assez vite notre père a passé son temps à picoler avec les voisins et on le voyait pas beaucoup.

Assez vite la santé mentale de notre mère s’est dégradée, elle avait toujours eu un petit confetti du coup personne n’a trop capté qu’elle commençait à déconner. Mais elle oubliait pleins de trucs, nous engueulait pour des trucs qui s’étaient passés juste dans sa tête. Des fois c’était fun, comme quand elle venait nous chercher le midi à l’école pour aller pique-niquer à la plage et nous ramenait pas à l’école l’après-midi. Mais c’était souvent foireux.

J’avais 6 ans quand on m’a acheté un short maillot de bain à la place d’un short classique. J’ai fait comme si j’avais rien remarqué, mais un jour où on m’a demandé de préparer mon sac pour aller à la piscine j’ai mis le short dans le sac au lieu du maillot de bain habituel. Je me suis fais engueulé mais j’ai pu mettre ce short et aller à la piscine torse nu et je me suis senti tellement moi.

J’avais 7 ans quand j’ai pu avoir les cheveux courts pour la première fois, je voulais jamais qu’on me coiffe, j’avais les cheveux super bouclés et notre mère savait pas comment s’en occuper et elle me faisait mal tout le temps. J’ai dû attendre d’avoir 18 ans pour enfin être débarrassé de mes cheveux.

J’avais 8 ans quand notre mère a décidé de passer le concours d’instit’ à La Réunion, l’excuse officielle c’est parce qu’il y avait un meilleur taux de réussite, mais je crois surtout qu’il fallait qu’elle trouve un moyen de se barrer. On était censés aller la rejoindre et passer l’été tous ensemble. Une fois arrivés elle annonce à notre père qu’elle s’est trouvé un autre mec et lui demande de se tirer. On a passé la nuit avec mes frères cachés sous le lit pendant que notre père lui mettait sur la gueule, je me rappelle l’avoir vu casser un banc sur son dos. Il a fini par partir.

Les 3 mois qu’on a passés à La Réunion c’est une faille spatio-temporelle, déjà parce qu’on était complètement traumatisés, que l’océan Indien ça change de la Méditerranée et puis on n’avait pas d’argent, on était des zoreilles mais d’un parent au RMI avec trois enfants. Elle a vendu sa voiture, sa guitare, des fringues pour qu’on ait de quoi bouffer.

Un jour notre mère est partie faire des courses et notre père s’est radiné, nous a gueulé de monter dans une voiture, bref on s’est fait kidnapper. On est restés deux jours cachés dans la maison de gens qu’on connaissait pas avant de prendre l’avion.

Quand on est montés dans l’avion, une hôtesse de l’air nous a tendu un sac plastique avec des gâteaux et ma poupée, je lui avais un peu grignoté les doigts et il y avait un petit mot glissé dans le pouce. C’était comme dans un film (ça fait cet effet là je trouve quand on essaie de se rappeler d’un truc alors qu’on était en pleine dissociation), j’ai attendu que notre père aille aux toilettes pour lire le petit mot à mes frères. Je me rappelle plus de ce qu’il y avait écrit dessus, je me rappelle juste que j’étais terrorisé qu’il me voie lire ce mot à mes frères ou qu’il le trouve.

Ce que j’ai compris de l’histoire c’est que comme ils avaient tous les deux l’autorité parentale et qu’il y avait pas eu de jugement de séparation, elle pouvait pas l’empêcher de se tirer avec nous et comme elle avait pas de billet, elle pouvait pas accéder au terminal de l’aéroport et le seul truc qu’elle a trouvé pour essayer de nous rassurer c’est de nous faire passer ça par les hôtesses de l’air. J’ai prévu de retourner un jour à La Réunion et mon objectif de voyage ça sera de réapprendre à pleurer.

On est retournés dans le bled à côté de Montpellier, et 15 jours après notre mère nous a kidnappés à la sortie de l’école. Ils ont fait ça encore 2/3 fois après mais celles-là étaient les plus traumatisantes.

Il y a eu un jugement et notre mère a récupéré notre garde principale, on s’est installés chez mon grand-père à Montpellier. Ma famille ils sont pas très forts à vivre séparément alors assez vite, après qu’on a emménagé dans le coin, mon grand père maternel s’est loué une maison là-bas, ma tante et deux de mes oncles vivaient avec lui. Il y avait trois chambres et elles étaient déjà toutes occupées, alors pendant 1 an notre mère et moi on a dormi dans des lits superposés dans le salon et mes frères dans le garage, mon grand père avait isolé en mettant de la moquette au sol et aux murs. Au bout d’1 an mes oncles et mon grand-père sont partis mais il a continué à payer le loyer alors on a eu des chambres.

J’avais 9 ans en CM1 quand l’instit’ nous a dit qu’il y avait eu un enfant intersexe quelques années plus tôt à l’école et que c’était ni une fille ni un garçon ou les deux, et que ses parents le laisseraient décider plus tard. Là un truc de ouf se passe dans ma tête, un autre monde est possible, au-delà des filles et des garçons !

J’ai découvert Claude du club des 5.

J’avais 10 ans quand on a fini par remonter en région parisienne, on était censés partir en vacances, ce qu’on savait pas c’est qu’il y avait un camion de déménagement avec nos affaires qui nous attendait là-bas.

C’est aussi à 10 ans qu’on est partis pour la première fois en colo avec mes frères, les autres enfants me demandaient toujours si j’étais une fille ou un garçon, j’avais les cheveux longs mais toujours attachés, j’ai dit que j’étais un garçon. Le premier jour on a fabriqué des badges avec nos prénoms et j’ai écrit Charlie, j’ai demandé à mes frères de jouer le jeu, les anims l’ont fait aussi, on m’a appelé Charlie et genré au masculin pendant 2 semaines et j’avais l’impression d’être sur un petit nuage… Sûrement que les autres enfants trouvaient ça chelou que je dorme dans le dortoir « des filles », mais personne est venu me faire chier. Faut dire que c’était les vacances des pauvres, les vacances « soleil » de la mairie où on était mélangés avec des gamins de la banlieue parisienne et de Villeurbanne, j’imagine qu’on avait chacun nos trucs à gérer et qu’on était tous surtout contents de pas être coincés avec nos familles.

À partir de 12 ans j’ai plus porté que des pantalons Dockers et des chemises à carreaux avec une veste en jean au début et ensuite avec un cuir pilote d’un surplus de l’armée.

J’avais 12 ans la première fois que notre mère a été internée.

Ça faisait déjà 2 ans que ça allait plus du tout, qu’elle sortait pas de son lit pendant des semaines, qu’on lui préparait des repas qu’on essayait de lui donner à la petite cuillère, et puis d’autres fois elle disparaissait, des fois une soirée, des fois quelques jours, une fois 3 semaines quand on avait 12, 9 et 7 ans. Nos oncles passaient les week-ends, checker si ça allait, mais personne n’était là au quotidien.

A un moment on a plus rien eu à manger, j’ai appelé ma grand‑mère qui est venue nous déposer un chèque pour qu’on aille faire des courses. Et du coup on a fait ça, tous les trois avec nos sacs à dos après l’école on est allés faire les courses au ED à 20 minutes à pied en payant avec ce chèque.

Je lui ai reparlé de cette escapade il y a quelques années, elle m’a dit qu’elle pensait que quelqu’un s’occupait de nous, mais bon elle avait demandé à personne de le faire. Ce qui s’est passé c’est qu’on est rentrés de l’école un jour, qu’elle était pas là et qu’elle est revenue 3 semaines plus tard.

Ça a été hyper trash toute cette époque-là parce qu’elle délirait quasi en permanence, elle nous a dit des trucs du genre qu’on avait été abusés par notre père et qu’il nous avait transmis le sida, elle nous a emmené faire des prises de sang au laboratoire d’analyses et ces connards les ont faites les prises de sang, sans ordonnance, alors que ça se voyait qu’elle délirait et que nous on était complètement flippés. Un de mes frères a été tellement traumatisé par cette histoire que pendant des années dès qu’il entendait parler du sida aux infos il se mettait à pleurer. Il y a eu pleins d’autres trucs, franchement je pourrais écrire 10 pages sur ces moments-là…

Un jour ça a été trop pour un de mes frères, le plus petit il avait 7 ans, il a essayé de se jeter du balcon, ma mère a appelé les pompiers en plein délire. Ils sont venus avec la police, on nous a envoyé chez la voisine d’en-dessous mais une keuf nous a faits sortir juste pour qu’on puisse voir notre mère se faire embarquer menottée dans le camion de pompier. Je me rappelle de mon frère de 7 ans qui pleure, et de mon frère de 9 ans que je dois soutenir parce qu’il tient plus sur ses jambes. Le camion est parti et on nous a remontés chez la voisine, je crois que c’est un truc qu’ils ont fait juste pour l’humilier.

Ça a duré presque 10 ans leurs histoires de procès pour notre garde avec des expertises psy, des passages au commissariat à chaque retard.

C’était hyper malsain l’ambiance ces années-là, notre père nous obligeait à changer de vêtements dès qu’on arrivait chez lui parce que les habits que nous mettait notre mère étaient pas assez bien pour chez lui. Elle nous engueulait parce qu’on sentait la clope.

À 12 ans j’ai fini par avoir une ordonnance du juge ne m’obligeant plus à aller chez mon père. Sauf les fois où ma mère était à l’HP…

Un jour notre mère a eu une permission lors d’une hospitalisation. Elle a essayé de venir nous voir chez les parents de notre père mais on nous a enfermés à clef, ils ont fermé les rideaux, ça m’a rendu fou.

Notre mère chantait devant la maison, des chansons qu’elle nous chantait quand on était petits pour qu’on sache qu’elle était là, mes frères pleuraient. Notre père et ses parents étaient en train d’appeler les keufs dans la pièce à côté, j’ai pris les clefs, ouvert la porte, escaladé le portail et je suis parti en voiture avec elle. J’imagine qu’elle a dû se dire qu’un enfant sur trois c’était mieux que rien… J’ai plus jamais remis les pieds dans cette maison.

Je pense vraiment qu’à pleins de moments on aurait dû être placés parce qu’on était pas du tout en sécurité mais c’est la fin des années 90, début 2000, on est en banlieue dans le 91, pleins d’autres enfants/gens sont en galère alors comme on allait à l’école, au collège, personne n’a été très regardant et on est passés sous le radar…

L’enjeu de la famille de notre mère ça a toujours été qu’elle ne perde pas la garde de ses enfants mais jamais comment on allait nous. Et comme notre père se pointait toujours bourré aux audiences ça jouait pas franchement en sa faveur. Ah et à un moment il a été président ou secrétaire je sais plus de SOS Papas Languedoc Roussillon, je suis tombé un jour chez lui sur un article de Midi Libre avec sa photo. Lui il était dans une vendetta contre son ex, l’enjeu ça a jamais été nous.

Le jour de l’an de l’année 2000 notre père s’est tapé un coma éthylique devant nous, c’était censé être Noël avec lui. Il avait pas acheté de cadeaux, pas fait de courses, nous a nourris de gâteaux apéro, – le repas habituel chez lui vu que sa vie est un apéro permanent – et il a passé toute la soirée à boire et fumer, mes frères lui roulaient ses joints avec une petite rouleuse. Il a fini par s’effondrer dans le canapé, mes frères trouvaient ça drôle, ils lui foutaient des claques et il réagissait pas. J’ai passé la nuit enfermé dans la salle de bain.

Quand j’ai eu 17 ans, il a fini par récupérer notre garde grâce à une autre hospitalisation de notre mère. Je suis passé devant le JAF, c’est toujours moi qui devait m’y coller parce que j’étais l’aîné et j’ai pas voulu répondre quand on m’a demandé chez qui on devrait habiter, j’ai juste dit : « Je reste avec mes frères ».

J’ai pas vraiment eu l’occase de faire une crise d’adolescence parce qu’il y avait pas d’espace pour ça dans notre crise parentale permanente.

À 18 ans je me suis rasé le crâne et j’ai plus porté que des costards. 10 jours après mes 18 ans notre père m’a foutu à la porte et j’ai passé 3 ans à l’ASE en contrat jeune majeur et 4 en foyer Sonacotra avant d’atterrir dans les milieux queer et d’aller vivre en squat.

La dernière fois que j’ai vu notre père j’avais 21 ans.

Il m’a contacté à la naissance de notre premier bébé. Il a envoyé un colis avec des habits moches et une lettre pour dire qu’il avait pas été un bon père à cause de sa maladie, l’alcoolisme, mais qu’il voulait bien être un grand père. J’ai jamais répondu et j’ai flippé qu’il débarque chez moi vu qu’il avait notre adresse. J’ai été soulagé quand on a déménagé. Sa lettre c’était même pas des excuses et surtout c’était 10 ans trop tard.

À 22 ans j’ai transitionné

Notre mère m’a raconté il y a quelques années que notre père l’avait appelé bourré pour lui dire : « Je n’ai plus de haine contre toi, mais à un moment si j’avais pu payer un tueur à gage pour te buter je l’aurais fait. »

Petites étoiles de mer en peluche roses

Il y a 4 ans, j’ai rencontré l’assistante sociale de l’HP où ma mère a fait des séjours très réguliers, on s’est engueulés parce qu’elle est nulle et elle m’a gueulé dessus :

« Monsieur, votre mère ça fait plus de 20 ans que je la suis, vous étiez où vous à ce moment-là ? »

J’ai répondu : « J’étais enfant… »

J’ai fini par arriver à assembler des petits bouts ramassés droite à gauche, les coller avec du sparadrap et mettre pleins de pansements aux endroits qui piquaient très fort et à transformer ce truc à vif en une créature humanoïde frankensteinienne. Ça m’a demandé beaucoup de boulot pour en arriver là, pour arriver à ne plus être en colère tout le temps, pour arriver à être à peu près fonctionnel.

Jusqu’à présent ça marchait, moi et ce monstre on était à peu près en paix, jusqu’à ce que je devienne un papa.

Parce qu’aider des petites personnes à grandir, se découvrir, se construire, ça m’a fait me reprendre mon enfance en plein dans la gueule. Le film passe dans ma tête et ce monstre, il commence à prendre de plus en plus de place, il a besoin aussi que je m’occupe de lui.

Ce monstre je crois que c’est moi, l’enfant que j’étais qui a pas bien grandi.

Devenir parent ça m’a fait remettre les choses en place, en perspective, faire le tri entre ce qui était normal ou pas normal. Alors tout en m’occupant de mes enfants, j’enlève les pansements tout doucement, je rebouche les trous avec de la douceur et de l’empathie pour l’enfant que j’étais. Je le/me transforme, il devient un Golem, je ne suis plus morcelé, je change de matière, je malaxe, je pétris, je lisse, je prends forme.

Il y aura toujours un cauchemar à l’intérieur de moi, mais le monstre et moi on va finir par trouver chacun notre place. Et puis, des fois, je l’utilise, parce qu’il est plein de colère et de force, mais je dois faire attention qu’il devienne pas trop grand.

La première chose dont on a discuté avec mon amoureux quand on a évoqué l’idée d’être des parents ensemble, c’est comment ça allait se passer si/quand on serait plus ensemble. Ça m’obsédait comme question, alors on a plus parlé de ça que de quel genre de parents on avait envie d’être.

Un autre truc que j’ai dû gérer avant la naissance des enfants, c’est mon rapport à la violence. J’étais terrifié à l’idée d’être violent avec eux, ça m’a vraiment hanté pendant des mois et ça reste un sujet d’angoisse pour moi.

On a réussi à créer une famille queer autour des enfants pour qu’ils aient une chouette enfance, qu’ils aient d’autres gens dans leur vie que nous et surtout tout faire pour limiter au maximum les contacts avec nos familles. Leur famille c’est les tontons/tatas, c’est eux qui sont présents pour les moments joyeux, les anniversaires, les vacances etc…

J’ai un souvenir de juste après la naissance de notre premier bébé, mon amoureux lui fait un câlinou, je suis à côté je les regarde et il me dit (je crois qu’il était encore un peu défoncé de la péridurale…) : « Ce bébé ne me doit rien du tout ». Je me rappelle lui avoir répondu : « Et tu ne dois rien non plus à tes parents ». Oui, lui aussi a des trucs à régler…

Un texte de Sacha Haïm
dessins de plein de fleurs psychédéliques avec des visage portant différentes expressions (tristes, joyeuses, souffrantes…)